ANNE LEROY

II. 100 vaches à l'heure

Extrait de 100 vaches à l'heure

Une installation sonore réalisée en collaboration avec Mélia Roger, artiste sonore.

28 minutes, quadriphonie, 2023.

Laura et Martial sont salariés d’une ferme laitière créée en 2010 à l’issue du regroupement de trois exploitants agricoles et de la fusion de leurs troupeaux dans une Société civile laitière (SCL) récemment transformée en Société à responsabilité limitée (SARL). Son organisation repose sur un modèle intensif. Les animaux sont maintenus sous bâtiments, sur des matelas ou dans des logettes paillées et conduits en lots. Trois cent vingt-cinq vaches laitières sont traites matin et soir.

Les producteurs laitiers de la région rencontrent des difficultés pour recruter. En dehors des salariés stables – comme Laura et Martial –, les stagiaires en formation agricole sont décrits comme les plus motivés. Les autres ne restent souvent que quelques semaines, quelques mois, au mieux quelques années, avant de repartir vers des emplois d’ouvriers dans l’industrie ou la construction.

Laura a 24 ans. Depuis son enfance, elle rêve d’élever des brebis. Elle obtient un bac pro agricole puis suit une formation en BTS sans aller au bout. Pendant son apprentissage, elle passe par plusieurs fermes dont les exploitants peinent à la rémunérer. « Dégoûtée », elle décide d’arrêter. Elle travaille alors pendant dix mois dans une station-service sur l’autoroute avant de revenir travailler sur des fermes.

Elle est salariée de l’exploitation laitière depuis 2018. En parallèle, elle « fait sa ferme » à-côté, avec l’aide de son père : elle élève deux vaches et dix moutons sur quarante-sept hectares de terres qu’elle loue. Sans crédit à la banque qui a refusé de la suivre au moment de son installation, elle achète son matériel, ses moutons et ses vaches petit à petit, avec son salaire.

Martial, quant à lui, a 62 ans. Il a été exploitant agricole pendant vingt-deux ans avant d’être salarié sur des fermes laitières. D’abord orienté vers un BEP d’électromécanicien par ses parents qui ne voulaient « pas entendre parler de la reprise de leur ferme », il suit une formation de vacher-porcher à vingt et un ans pour pouvoir s’installer. En 1983, son épouse et lui reprennent la ferme de ses parents avec une trentaine d’animaux et vingt-cinq hectares de terres. La ferme s’agrandit au fil des ans tout en restant fragile. En 2000, pour faire face à l’évolution de la réglementation sur la localisation des bâtiments d’élevage dans les villages, il s’associe avec un voisin qui a plusieurs centaines d’animaux et trois cents hectares de terres. Après cinq ans et suite à un désaccord, l’association prend brutalement fin.

Par la suite, il est d’abord salarié sur une ferme d’élevage qui fait aussi du commerce de bestiaux avant d’être employé sur la ferme où il travaille depuis dix-sept ans, tandis que son épouse devient aide à domicile. Pendant son temps libre, Martial fait du bois – dont il vend une partie –, taille des haies – les siennes et celles de ses voisins – et poursuit les travaux de sa maison. Il fait tout : la plomberie, l’électricité, le carrelage, la peinture. Ça l’occupe, comme il dit. Martial était chasseur. Il y reviendra sans doute une fois à la retraite, prévue pour 2025.

100 vaches à l’heure a été réalisé à partir d’entretiens et de matières sonores prises en mai 2022 sur leur lieu de travail.

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